Tauba Auerbach, Anna-Maria Bogner, Claudia Comte, Mary Corse, Ann Edholm, Gloria Graham, Carmen Herrera, Sonia Kacem, Ariane Loze, Julia Mangold, Agnes Martin, Mary Obering, Charlotte Posenenske, Jessica Sanders, Anne Truitt, Meg Webster and Marthe Wery
Eleonore de Sadeleer and Evelyn Simons
Figures on a Ground présente des œuvres d’artistes pionnières du minimalisme aux côtés de pratiques contemporaines qui s’inscrivent dans le mouvement ou le questionnent. L’art minimal est abordé à travers des thèmes tels que la perception spatiale, le relationnel, la nature, le sacré, le corps et la spiritualité.
Pour une exposition qui traite du minimalisme, Figures on a Ground – Perspectives on Minimal Art, peut sembler une entreprise paradoxale par son audace et son abondance. Malgré le fil conducteur de la simplicité, principe de base de l’art minimal, l’exposition atteint une maximalité tout en essayant de renégocier notre compréhension du minimalisme.
Elle met au défi des associations évidentes, telles que l’universel vs le personnel, le rationnel vs l’émotionnel, le calme vs l’hystérie, qui définissent l’art minimal comme une approche artistique qui nie toute allusion au monde extérieur. Son côté autoréférentiel et non représentatif ainsi que l’utilisation fréquente de matériaux industriels et standardisés soulignent davantage encore cette notion de détachement humain.
L’impression largement répandue selon laquelle le minimalisme serait uniquement logique et rationnel est remise en question par l’œuvre remarquable d’Agnès Martin (1912 – 2004 américaine), considérée comme une des artistes pionnières du minimalisme. Sa réflexion sur la nature, le bonheur et la beauté s’exprime à travers des répétitions contenues et thérapeutiques de lignes fragiles dessinées à la main. La peinture d’Anne Truitt (1941-2004, américaine) quant à elle, superpose des couches minces et infinies dans une quête autoproclamée de sens maximal dans la forme la plus simple. Enfin, la pièce en cuivre à échelle humaine Meg Webster (b. 1944, américaine) nous rappelle l’union des énergies entre l’Homme et la matière première.
Malgré l’idée préconçue selon laquelle le minimalisme ne peut être relationnel, la référence à la nature se retrouve également dans le travail de Gloria Graham (née en 1940, américaine) et de Jessica Sanders (née en 1985, américaine) qui encouragent la contemplation de la nature, sans la représenter littéralement. Avec son œuvre monumentale Untitled (1982), Graham insuffle la notion spirituelle de globalité universelle à la pensée scientifique à travers des structures moléculaires de cristaux et minéraux. Sanders, d’autre part, manipule la cire d’abeille et permet au mystère incontrôlable de la nature de s’infiltrer dans son travail.
En plaçant ainsi les œuvres au premier plan, en démocratisant leur forme, le matériel utilisé et leur interprétation, et par la prise en compte de l’espace qui entoure l’œuvre, le corps et le mouvement du spectateur deviennent les principales préoccupations communes au minimalisme. Dans Figures on a Ground, nous verrons que tout en bouleversant la définition singulière et rigoureuse de l’art minimal, la même préoccupation est mise en lumière.
La notion d’espace et de perception est particulièrement présente dans l’installation de l’artiste allemande Julia Mangold (née en 1966, Allemande), composée d’imposants volumes en bois rectangulaires recouverts de pigments, de laque et d’épaisses couches de cire qui lui donnent l’apparence d’un métal industriel, opaque et énigmatiqueprocurant à l’observateur la sensation renforcée d’une présence physique. L’artiste Belge Marthe Wéry (1930 – 2005) expérimente la peinture et ses différentes composantes. Elle manipule ses supports en y intégrant l’espace et regroupe ses œuvres de manière non conventionnelle. Anna-Maria Bogner (née en 1985, Autrichienne) déclenche également une conscience spatiale accrue en utilisant une bande élastique simple, qui déforme la circulation logique de l’entrée de la Fondation. Ce motif en forme de ruban trouve un écho dans la fresque monumentale composée d’un motif en zigzag dégradé de l’artiste suisse Claudia Comte (née en 1983, Suisse), qui sert de toile de fond et de scénographie à l’exposition.
Cette intervention murale fait écho à une dimension performative et théâtrale et au rapport au corps présents dans plusieurs œuvres de l’exposition. La sculptures standardisée minimales en carton, d’apparence anthropomorphique de Charlotte Posenenske (1930 – 1985, Allemande) est agencée librement par « l’utilisateur ». L’artiste suisso-tunisienne Sonia Kacem (née en 1985) en résidence à la Fondation CAB de février à mars 2020, propose deux interventions in situ constituées de lourds tissus drapés librement ou étirés sur des fixations mêlant ainsi art, sensualité, architecture et scénographie. Enfin, Ariane Loze (née en 1988, Belge) en résidence à la Fondation CAB en décembre 2019, s’est plongée dans les éditions historiques d’Art Press et de L’Art Vivant pour rechercher des interviews originales des « pères » du minimalisme. En s’appropriant le rôle de ces artistes minimalistes (non spécifiés), elle reconstitue leurs citations dans une performance audiovisuelle au sein même de l’architecture de la Fondation CAB.
Par le dialogue mis en scène entre plusieurs générations d’artistes femmes, Figures on a Ground, Perspectives on minimal art, met d’une part en lumière le fait que les femmes, malgré leur discrétion historique, ont également participé à ce mouvement abstrait et minimal du XXe siècle. D’autre part, leur façon d’aborder le minimalisme a certainement contribué à influencer des artistes contemporain(e)s qui tout en adoptant un mode abstrait, géométrique et non référentiel, développent cependant une pratique complexe et intuitive.
Tauba Auerbach (n. 1981, San Francisco, États-Unis) utilise la peinture, la gravure, la photographie et les installations pour explorer les limites de nos systèmes logiques (linguistiques, mathématiques, spatiaux) et le moment où ils se fissurent pour s’ouvrir à de nouvelles possibilités visuelles et poétiques. A travers sa recherche sur la quatrième dimension, Auerbach combine ordre et désordre, lisibilité et abstraction, perméabilité et solidité – des concepts habituellement incompatibles – au sein d’unités faites de surfaces et de volumes. Sa série de tissages ondulés (Weave paintings), dont les titres renvoient à des termes scientifiques de la physique, sont constitués de bandes de toile tissées créant un effet d’optique trompeur. Ce qui peut sembler un défi pour déchiffrer le code derrière le tissage, devient rapidement une invitation à s’abandonner à l’étrange beauté du va-et-vient des éléments du tissage. Chaque bande oscille entre surface plane et objet tridimensionnel, entre soumission au motif et chaos, pour nous transporter dans une expérience proche du spirituel. Auerbach vit et travaille à New York, aux États-Unis.
La pratique de Sonia Kacem (n. 1985, Genève, Suisse) se traduit par une recherche sur le potentiel sculptural de matériaux non conventionnels, qu’ils proviennent de la vie quotidienne ou qu’ils soient de fabrication industrielle. Sa méthode presque performative est intrinsèquement spécifique au site, où ses œuvres insérées dans l’espace jouent sur le point de bascule entre la surface et le volume, entre l’œuvre et l’architecture, entre la délimitation et l’environnement. Depuis 2010, elle a commencé à travailler avec des tissus lourds qui peuvent être drapés librement ou étirés sur des fixations afin de pouvoir jouer avec les courbes et les irrégularités. Leur présence dans l’espace génère des connotations sensuelles, qui interpellent la conscience physique du spectateur. Sonia Kacem a réalisé ses œuvres exposées lors de sa résidence à la Fondation CAB de Janvier à Mars 2020. Elle vit et travaille à Amsterdam.
La pratique de Claudia Comte (née en 1983 à Morges, Suisse) est marquée par une dualité inattendue entre la sensibilité organique et l’esthétique graphique. Elle travaille comme sculpteur, principalement le bois et le marbre, rappelant les courbes lisses des modernistes tels que Hans Arp, Barbara Hepworth ou Brancusi. Elle s’est également fait un nom avec des peintures, des installations et des projets d’exposition qui traduisent son fidèle attachement à la ligne dans ses diverses manifestations : transformée, répétitive ou rappelant l’Op Art. Les œuvres bidimensionnelles de Comte présentent des gradations de couleurs ou des lignes monotones et rythmées, dans des palettes de couleurs graphiques qui rappellent l’école suisse. La peinture murale monumentale en zigzag de la Fondation CAB suit la lente et langoureuse transformation d’une ligne. A l’aide de mesures spécifiques et de formules mathématiques récurrentes, l’artiste cherche à générer une ambiance contrôlée et totalisante. Elle transforme l’environnement existant et laisse le visiteur dans un vide hors de l’espace-temps, submergé par les distorsions optiques. Baby Blue and Salmon Circle (Peinture triangulaire) montre l’intérêt de l’artiste pour le hard-edge painting et l’abstraction géométrique. Les quatre éléments de cette pièce modulaire peuvent se prêter à diverses compositions spatiales. Il se crée un jeu d’allers-retours entre le volume et l’image.
Gloria Graham (n. 1940, Beaumont, Texas, USA) a grandi sur la côte au Texas, un endroit connu pour ses nombreux ouragans. Parallèlement au fait que son père était un botaniste qui gérait une pépinière, la jeunesse de l’artiste a été formatrice pour son sentiment d’appartenance à l’univers et son lien évident avec la nature. Sa pratique oscille entre la conscience spirituelle d’un univers holistique et la recherche scientifique – des systèmes de connaissance qui ne sont pas contradictoires, mais plutôt se renforcent mutuellement. Beaucoup de ses dessins traduisent la structure moléculaire des cristaux et des minéraux, de la matière ancienne qu’elle considère comme incarnant la connaissance et la force. Graham a commencé à travailler avec du kaolin et de la colle de peau vers le milieu des années 80 et les a appliqués directement sur des panneaux de bois pour les recouvrir ensuite de dessins en graphite – une technique similaire à celle des thangkas bouddhistes tibétains. Dans ces œuvres, Graham tente de révéler les structures physiques sous-jacentes de notre environnement. Elle rend l’éphémère tangible par des gestes précis, contenus et concis. Graham est basée au Nouveau-Mexique, aux États-Unis.
Les peintures monumentales d’Ann Edholm (n. 1953, Stockholm, Suède) se présentent comme d’immenses séries dans lesquelles elle assemble des compositions géométriques abstraites. Ses formes pointues, audacieuses et colorées mettent en évidence la physicalité de la toile, destinée à créer un dialogue direct avec le corps du spectateur. « Le corps voit l’image », d’après l’artiste. En attirant l’œil vers des points de fuite ambigus, l’image joue avec la perception optique et oscille entre sa qualité d’objet plat et celle d’un volume dans l’espace. Bien que les œuvres paraissent graphiques, leur imagerie est partiellement basée sur l’expérience humaine et contient même des références culturelles et symboliques. En combinant la peinture à l’huile et la cire, les peintures d’Edholm acquièrent une texture mystérieuse et immersive, qui évoque une expérience spirituelle. Elle vit et travaille à Nyköping, en Suède.
Anna-Maria Bogner (b. 1984, Tyrol, Autriche) s’exprime principalement par l’utilisation de la ligne. Sa pratique est spécifique au site, déployant la ligne comme une entité physique faite pour couper, déformer, pénétrer et libérer les espaces. Ses interventions ne sont pas là pour décorer ou mettre en lumière ce qui existe. L’artiste cherche à s’opposer aux environnements dans lesquels elle opère plutôt que d’entrer en symbiose avec eux. Le travail de Bogner se positionne dans la lignée des réflexions propres aux minimalistes concernant la lecture phénoménologique de l’espace. Contrairement aux volumes puissants et dominants destinés à impressionner, ses lignes sont humbles et fines. Ses installations n’évoquent pourtant en rien la sérénité et l’immobilité, mais plutôt le dynamisme et le mouvement « d’un système de directions qui se décline en plusieurs dimensions. Qui met aussi en évidence le temps » selon Esther Stocker (2019). Par sa pratique disruptive, Bogner s’oppose à l’hégémonie des systèmes de connaissance et de vérité uniques, tels que la géométrie et les mesures, qui règnent dans les espaces où elle opère. Elle vit et travaille entre Düsseldorf et Vienne.
Mary Obering (n. 1937, Louisiane, USA) crée des œuvres depuis son vaste studio à Soho où elle s’est installée dans les années ’70 et où elle avait rapidement fait partie de la communauté artistique alors en plein essor. Sa pratique est une quête autoproclamée de formes simples et géométriques. « Je suis attirée par l’art abstrait pur parce qu’il n’y a pas de sujet en soi. Tout est une question de relation entre formes et couleurs ». L’artiste a suivi des formations en psychologie et en sciences du comportement, qui ont été formatrices pour son art : « l’approche scientifique de la vie, et tout ce qui ne peut pas être expliqué m’a amené à devenir artiste ». Sa pratique est centrée sur l’exploration des couleurs et de l’espace. Elle crée des monochromes sur toile, qu’elle découpe en panneaux horizontaux et verticaux destinés à être fixés et superposés sur d’autres larges monochromes. Suite à un voyage en Italie effectué durant son adolescence, Obering est fascinée par la peinture de la Renaissance, ce qui a influencé son travail. Elle utilise les techniques de la tempera à l’œuf et de la feuille d’or qu’elle applique directement sur des panneaux de gesso. Leur opulence imite le caractère sacré des pièces d’autel, ajoutant un sens métaphysique et spirituel à ses œuvres uniques.
Meg Webster (n. 1944, San Francisco, États-Unis) a développé une approche unique du minimalisme qui plonge ses racines dans le Land Art et l’activisme environnemental. Son travail introduit la nature et des matériaux organiques comme les plantes vivantes, l’eau et la terre dans l’espace d’exposition, obligeant le spectateur à réfléchir sur la relation entre les formes géométriques et organiques. Ce faisant, elle intègre souvent le rythme cyclique de la vie et de la décomposition dans ses œuvres, qui fonctionnent comme des écosystèmes avec leur logique propre. De nombreuses recherches précèdent ce résultat où elle s’intéresse aux liens qui existent entre la nature, l’existence humaine et la technologie. Parallèlement à ses installations interactives, Webster réalise aussi de nombreuses sculptures monumentales dans divers matériaux. Copper Holding Form fait partie d’un corpus de récipients creux, façonnés à l’échelle du corps de l’artiste. Faisant allusion à une expérience rituelle et solitaire avec la matière première – le cuivre chaud, réfléchissant et tactile –, l’œuvre parle d’une union des énergies. Webster vit et travaille à New York.
Souvent considérée comme une des artistes les plus importantes du minimalisme, Anne Truitt (1921, Easton, États-Unis – 2004, Washington, DC, États-Unis) a dessiné, peint et écrit, mais est surtout connue pour ses grandes sculptures en bois méticuleusement recouvertes de nombreuses couches de peinture. Après avoir étudié la psychologie et travaillé en tant qu’infirmière, elle a débuté sa pratique artistique par des œuvres figuratives en métal. C’est seulement dans les années 1960 qu’elle commence à expérimenter l’abstraction « luttant pendant 30 ans pour obtenir un maximum de sens sous forme la plus simple possible ». Malgré l’esthétique formelle réductrice et stricte à laquelle elle s’est consacrée, son discours diffère de la pensée minimaliste en tant que telle. Sa quête de sens était principalement axée sur la recherche des couleurs. Comme déclaré par l’artiste « Je ne suis pas vraiment un sculpteur… j’essaie de rehausser la couleur et de la libérer… [et] j’essaie d’obtenir de la couleur en trois dimensions. » Truitt travaille directement sur du bois ou de la toile et peint dans un processus de travail intensif, où de nombreuses couches de peinture minces (parfois jusqu’à quarante), presque translucides sont appliquées les unes sur les autres en alternant les coups de pinceau horizontaux et verticaux..Ses couleurs unies et simples s’intensifient progressivement sous ses gestes rituels, générant un univers propice à la méditation.
L’artiste belge Ariane Loze (née en 1988 à Bruxelles, Belgique) travaille avec la vidéo, déconstruisant et interrogeant son médium par des actes d’autoréflexion qui impliquent ses composantes individuelles. Dans son processus de création, elle joue le rôle de scénariste, d’actrice, de camerawoman, de réalisatrice, et est également en charge de tous les aspects de la post-production. Ses courtes vidéos sont construites sur des monologues intérieurs et leurs contradictions paradoxales : elle apparaît sous la forme de différents personnages aux opinions parfois opposées, pendant que se déroule le récit. Le spectateur est livré à lui-même pour inventer sa propre histoire à partir des principes de base du montage cinématographique : le plan et le contre plan, la continuité présumée du mouvement, et la suggestion psychologique d’une narration. Le tournage de ces vidéos a été rendu public comme une performance en cours. Dans sa vidéo Minimal Art, Ariane Loze met en évidence la pluralité des réflexions sur le minimalisme, telles qu’elles sont documentées dans les éditions originales d’ArtPress et de L’Art Vivant des années 1970. Mettant en scène la présence sculpturale de l’architecture de la Fondation CAB, Loze contemple l’infini, l’immensité, la fluidité de la perception, et l’intimité de l’expérience esthétique.
Considérée comme une des artistes les plus importantes du minimalisme, Agnes Martin (n. 1932, Saskatchewan, Canada – d. 2004, Taos, USA) a construit son œuvre autour de la recherche d’une beauté sublime et sereine. Ses grilles fines, ses bandes et ses blocs carrés de couleur pâle appliqués avec légèreté lient l’émotionnel de l’expressionnisme abstrait à la pureté du minimalisme. Le carré fait partie intégrante de son travail, à la fois comme forme de ses toiles et comme motif durable. Contrairement à tout aspect mécanique, une irrégularité de la toile, un tremblement de la main ou une pression de la règle animent ses toiles d’une vie et d’une émotion intenses. Influencée par la recherche taoïste de l’équilibre et de l’harmonie, elle déclare dans un entretien avec l’artiste Ann Wilson en 1973 : « La nature, c’est comme ouvrir un rideau, on y entre. Je veux susciter une réaction du même genre … le genre de réaction qu’ont les gens lorsqu’ils s’oublient, réaction qui se manifeste souvent dans la nature, une sensation de joie simple … Mes peintures parlent de fusion, d’absence de forme… Un monde sans objets, sans interruption. »
Les monolithes noirs de Julia Mangold (n. 1966, Munich, Allemagne) surgissent, et impressionnent par leur taille tout en véhiculant une présence sereine, presque ascétique. L’artiste travaille avec des volumes géométriques en bois, qu’elle assemble selon son intuition : ici, les colonnes se composent chacune de six éléments rectangulaires. Elle place souvent ses œuvres de manière groupée, comme si elles occupaient l’espace de façon calme et distante sans vouloir capter notre attention. Sa pratique se caractérise par une quête de la proportion et de l’équilibre spatial, centrée sur l’interaction exercée par l’échelle, les objets inanimés et le spectateur. De légères variations dans les compositions leur donnent rythme et cohérence. Des pigments, de la laque et d’épaisses couches de cire recouvrent la surface du bois qui prend l’apparence d’un métal industriel: opaque et énigmatique. Les puristes verront cela comme un geste iconoclaste envers le minimalisme – terme qui ne peut s’appliquer qu’aux oeuvres qui ne cachent pas le matériau qui les compose-, bien que ce soit exactement la profondeur de ses couches superposées de graphite aux teintes anthracites qui intrigue et appelle à se mouvoir autour du groupe de monolithes. L’artiste vit et travaille à Portland, Oregon, USA.
Jessica Sanders (b. 1985, Arkansas, USA). Sa formation en céramique lui a permis de développer une pratique unique via laquelle elle étudie la malléabilité et les réactions physiques du matériau avec lequel elle travaille. Elle réalise principalement des peintures sur lesquelles elle applique de la cire d’abeille chaude sur du lin coloré. Elle manipule également les dérivés de cette cire qu’elle superpose pour réaliser des sculptures. Tout comme l’argile, la manipulation de la cire d’abeille reste sensible aux facteurs environnementaux et laisse place au hasard. Dans ses Crumple-works, la cire d’abeille s’effrite de manière homogène au cours du processus de séchage, laissant une surface craquelée. Cette interaction entre la surface, la texture, la structure et la transparence domine le langage visuel de Sander et lui donne une dimension corporelle particulière. Les tons charnus, la translucidité membranaire et la qualité organique, confèrent à ses œuvres une aura d’intimité et de douceur. Sanders vit et travaille à New York.
Charlotte Posenenske (née en 1930, Wiesbaden, Allemagne – décède en 1985, Francfort, Allemagne) était une artiste socialement engagée et militante qui a introduit des idées radicales sur la démocratisation de l’art dans le discours minimaliste. Elle partageait avec certains minimalistes les plus éminents les principes sur la sérialité, les matériaux produits en masse et l’agencement non hiérarchique des objets, mais s’est interrogée de manière tout à fait nouvelle sur la notion d’auteur, en créant des œuvres à prix fixe, reproductibles à l’infini et devant être assemblées librement par « l’utilisateur ». Les Vierkantrohre (« Tubes carrés ») Série D et DW ((1967), dont le dernier est présenté ici, radicalisent encore cette recherche. Les modules en carton et acier galvanisé sont produits en usine et leurs formes géométriques répondent à une logique de standardisation. Exposés pour la première fois en 1967 à Francfort par Paul Maenz et Peter Roehr, les modules étaient constamment réagencés pendant le vernissage. De la production en usine jusqu’à la mise en place, l’artiste tient à impliquer directement tous les acteurs de l’œuvre, donnant ainsi une dimension performative à sa sculpture minimaliste. La publication de son manifeste dans une édition de 1968 d’Art International, a marqué son départ du monde de l’art pour se consacrer à la sociologie.
Carmen Herrera (née en 1915 à la Havane, Cuba) place au centre de sa peinture, un désir de simplicité formelle, un sens saisissant de la couleur et une recherche de la plus simple des résolutions picturales. Par sa maîtrise des lignes claires et des plans chromatiques contrastés, Herrera parvient à insuffler à son œuvre un curieux jeu entre symétrie et asymétrie, ainsi que du mouvement, du rythme et une conscience spatiale. Elle conceptualise sa peinture comme un objet et considère la structure de la toile non plus comme une surface sur laquelle on peint mais comme un objet qui est intégré dans l’environnement qui l’entoure. Elle crée ainsi des compositions qui se projettent au-delà des limites de la toile, dans l’espace. La Fonteyn (2015) est un exemple tardif de son esthétique radicale : le vert du quadrilatère se détache du fond noir et accentue la géométrie du tableau. L’optimisme et la sérénité se dégagent de la toile et le choc des deux couleurs contrastées est à la fois simple et puissant. Il ne retient que l’essentiel : la dualité entre deux formes et deux couleurs. A New-York dans les années 50, Herrera fréquente Ellsworth Kelly, Kenneth Noland, Ad Reinhardt et Frank Stella, les artistes les plus souvent cités lorsqu’on parle de peinture hard edge. Elle affine son style en même temps qu’eux, mais elle se trouve discriminée et rejetée du marché de l’art parce qu’elle est étrangère et femme. Aujourd’hui âgée de 105 ans et artiste mondialement reconnue, elle a pourtant dû attendre 2004 avant de vendre son premier tableau à l’âge de 89 ans. Et ce n’est qu’en 2016, qu’a eu lieu sa première exposition muséale, Lines of Sight, au Whitney Museum à New York. Herrera vit et travaille à New York, USA.
La pratique minimaliste de Marthe Wéry (née 1930 – 2005, Bruxelles, Belgique) se définit comme une expérimentation constante sur la matérialité, sur la lumière, sur la texture et sur l’échelle. A travers ses œuvres lignées à l’encre de Chine, ses pliages en papier, ses peintures monochromes et ses pièces au sol, elle a déconstruit le medium de la peinture d’une façon qui était en avance sur son temps. Pour intégrer l’espace dans ses supports, Wéry plaçait ses œuvres regroupées ou de manière non conventionnelle dans leur environnement. L’œuvre exposée à la Fondation CAB reflète la période qui a suivi son exposition au pavillon belge à La Biennale de Venise en 1982. L’artiste a réalisé une œuvre in-situ en combinant dans une installation architecturale des monochromes lisses de couleurs variées avec des panneaux de bois non-traités. Cela l’a incitée à pousser et diversifier son expérimentation liée à la peinture: en immergeant des panneaux de bois et d’aluminium non traités dans de la peinture et du pigment, elle les faisait ensuite sécher naturellement ou les modifiait avec des grattoirs et des brosses pour générer une texture plus dense. Le caractère en apparence dégradé de cette œuvre exposée contraste avec sa présence délicate et réfléchie, représentative de la capacité de Wéry à faire vivre la surface.
Affiliée au mouvement Southern Californian Light and Space à partir des années 1960, Mary Corse (n. 1945, Berkeley, USA) a contribué à l’histoire de l’art grâce à la radicalité et l’inventivité de son oeuvre. Elle a redéfini la relation entre l’objet et le corps du spectateur, en considérant la peinture comme un moyen de recherche sur la perception de la lumière. Afin d’introduire la luminosité et la brillance dans son travail, des formes et des motifs géométriques stricts y sont combinés avec des matériaux expérimentaux, tels que la lumière électrique, des carreaux de céramique et des microsphères (des perles de verre réfléchissantes). Selon l’emplacement du spectateur, ses œuvres envoûtantes peuvent prendre diverses apparences. Mais c’est la tension délicate entre la rationalité formelle des teintes douces et froides et le geste expansif du pinceau qui donne à son travail un aspect opulent, hypnotique et mystérieux. Aujourd’hui elle vit et travaille à Los Angeles.